Dans le cadre d'une série d'articles sur la Baltique en hiver, premier reportage sur une
traversée de nuit, en ferry, entre l'Allemagne et le Danemark.
Puttgarden : nord de l'Allemagne. C'est là que se termine la route qui vient de Lübeck. Juste après Lübeck, elle était encore autoroute et puis il y a 25 kilomètres, elle s'est soudain rétrécie
pour passer à deux voies, longée par une voie ferrée dont on a tout de suite imaginé qu'elle conduisait au même quai : celui du ferry pour le Danemark.
La campagne est sans doute belle par ici, le Schleswig-Holstein, en dehors de ses éoliennes, est connu pour être une région touristique très courrue outre-Rhin, pour ses longues plages de sable
blanc qui bordent la Baltique. Las, nous sommes fin février, en pleine nuit, dans le sommeil paradoxal de l'honnête citoyen, et cette campagne rieuse se distingue à peine, dans la pénombre, aux
ombres des bosquets, les tâches de lumière faiblardes défilant au loin signalant de-ci, de là, un village endormi.
Il est deux heures du matin et j'arrive au terminal du ferry.
Pas de chance, celui à quai est en train de partir. J'ai pourtant accéléré il y a quelques minutes en croisant les camions qui venaient en sens inverse, seul trafic observé depuis un bon moment.
Pas suffisamment ma foi !
Le prochain ferry est annoncé dans 35 minutes, l'attente ne sera pas interminable : le trafic est dense sur cette ligne gérée par la société suédoise Scandlines. Jusqu'à 48 liaisons par jour...
La file d'attente réservée aux véhicules particuliers est quasiment vide, à part moi. Il n'y a qu'un journaliste en mal de traversées et d'ambiances nocturnes incertaines sur un ferry, pour ne
pas avoir choisi les bras de Morphée ce soir de février ! Côté camions en revanche, il y a foule : non, tous les routiers ne dorment pas la nuit !
Leurs camions sont rangées bien sagement, en files indiennes parallèles. Les chauffeurs les plus frileux ont laissé tourner leurs moteurs pour avoir du chauffage, maintenant leurs éclairages
extérieurs. Pour certains, c'est New-York la nuit : très impressionnant. Notamment, je l'imagine, quand on roule à 90 de nuit, sur une départementale et que l'on aperçoit dans son rétroviseur, le
museau d'un tel monstre qui vous suit à la trace...
Notre bateau est en approche. En fait d'approche, c'est à la dernière minute qu'on le voit arriver, du fait de l'angle entre le parking et le quai. Il s'immobilise quasiment immédiatement après,
la porte déjà en train de s'ouvrir, telle une gueule affamée, attendant avec impatience sa ration de véhicules. L'embarquement est imminent.
Pas pour les 3 voitures qui constitueront une clientèle rarissime ce soir, mais pour la trentaine de semi-remorques qui s'élance vers la passerelle d'embarquement. Ce soir, c'est sur le FS
Deutschland que je traverserai.
Un seul pont est ouvert aux véhicules, le pont inférieur pratiquement plein. Les immatriculations des poids-lourds sont à l'image de l'Europe, des plus diverses : Allemagne, Danemark, Suède,
Norvège, Pologne, Pays-Bas...
Le temps de récupérer mon reflex et je m'aperçois que je suis seul dans le parking, à l'exception d'un employé de Scandlines qui vérifie le départ du bateau par un hublot. Les routiers n'ont pas
demandé leur reste et ceux qui ne font pas un somme dans leur camion ont déjà filé vers les ponts supérieurs et leurs prometteuses cafétérias.
Ces ferries, je les connais bien pour les utiliser fréquemment, sur différentes routes. La nuit, très rarement. Cette nuit, objectivement, l'ambiance est sinistre, entre l'éclairage faiblard et
l'absence de passagers : un ferry, ce n'est décidément pas fait pour être vide !
Remonter du pont poids lourds plutôt que du pont VP, c'est grimper deux longs escaliers en plus, à la pente marquée. Emporté dans mon élan, je monte et monte pour finir tout en haut, à savoir au
niveau du pont extérieur, dit "solarium" : en bref, j'ai loupé le pont de la cafétéria, qui était juste en dessous.
Qu'à cela ne tienne, me dis-je plein d'allant, il suffira de descendre par le grand escalier en colimaçon et je pourrai ainsi rejoindre les routiers pour causer un brin avec eux, car tel est
quand même l'objectif de ce périple nocturne.
Las, en ouvrant - en force - la porte pneumatique donnant accès à la salle de repos avec vue sur le "solarium", une mauvaise surprise m'attend : ce niveau est actuellement en travaux. Le
carrelage est en cours de réfection et l'escalier libératoire est barré par une grande bâche en plastique, déchirée en son milieu. Sans doute par un passager à qui la même mésaventure que moi est
déjà arrivée.
Décidément, c'est glauque ce soir ! C'est bien ma veine de tomber sur un ferry en travaux !!
Il est dit que je ne rebrousserai pas chemin : la piste ouverte par l'explorateur précédent s'ouvre à moi, ni une, ni deux, je fonce : ce n'est pas tous les jours que l'on emprunte une nouvelle
voie ! J'écarte la bâche avec précaution et rejoins le pont cafétéria, après avoir descendu l'escalier en toute discrétion.
Morne pont cafétéria : mais où sont donc passés mes 30 routiers dans tout ça ?? J'ai beau regarder à gauche à droite, parcourir le pont de long en large, la récolte est mince !! Ils sont en effet
à peine 5 à discuter dans la cafétéria arrière, la seule ouverte d'ailleurs, un autre s'est isolé dans la salle à manger et pianote sur son smartphone joue avec son smartphone, tandis qu'un
dernier déambule sans but précis, un couple de touristes se dévorant des yeux, à table, clôturant le tableau.
Seule originalité du soir : les employés de la compagnie qui briquent le navire à grands coups de cireuse et de serpillère, dans un balais synchronisé des plus étonnants.
Direction la cafétéria : je vais donc au contact, avec mon gobelet de mauvais café à la main, que je viens de payer à l'employé du self. L'accueil est réservé mais sympathique, curieux de voir ce
toursite se méler à leur petit groupe. Autour de la table, un suédois, un néerlandais, deux danois et un polonais. Ils ne se connaissent pas tous à priori, mais cette pause forcée de 45 minutes,
le temps de la traversée, est l'occasion pour eux de briser la solitude, de prendre des nouvelles des itinéraires, des sociétés de transport... Les cargaisons qu'ils transportent sont des plus
variées, allant des fleurs fraîches aux pièces mécaniques en passant par des produits d'épicerie et d'électronique.
Leurs destinations sont le Danemark et la Suède, celui allant le plus loin, Lars, devant remonter jusqu'à Göteborg, son comptatiote Anders s'arrêtant à Malmö.
Tous sont équipés de smartphones et c'est avec eux qu'ils montrent les photos de leurs enfants, femmes pou copines. Les temps changent avec les technologies, pas les vieux réflexes de partage.
Tandis que nous devisons, une famille nombreuse de norvégiens, surgie dont ne sait où, envahit l'aire de jeux et apporte un peu d'animation. Le bateau en manque tellement ! Et ce ne sont pas les
machines à sous, qui clignotent dans l'attente désespérée de quelques piécettes, qui égaieront la situation.
Sur les visages de mes compagnons de tablée, la fatigue se lit, qui explique que la majorité de leurs collègues ait décidé de rester dans leurs camions pour piquer un roupillon réparateur.
Le moment de nous quitter arrive et chacun me demande l'adresse du site sur lequel sera publié l'article : minute de publicité ! Aucun ne lisant le français, le traducteur de Chrome sera de la
partie...
Une petite tentation : qui a t-il d'intéressant à photographier dans la boutique Duty Free (!!) du navire ? Est-ce d'ailleurs si intéressant, en dehors des cigarettes et de la bière ? Pour nous
autres Français, pas vraiment. Si, pour un Suédois qui ne peut acheter son alcool que dans des magasins d'Etat, les Systembolaget, grevés de lourds taxes...
Surprise du soir, un vigile m'interdit toute photo dans le magasin ! Pourtant, ce n'était pas indiqué à l'entrée, sur les charmants pannonceaux souhaitant la bienvenue aux clients : trop tard mon
gars, question de Reflex !!
Je cherche l'arme de destruction massive dissimulée dans les rayons et qui fait l'objet d'une telle protection : finalement, entre les cigarettes et la bière, sans compter les alcools forts, ce
ferry est un véritable arsenal ! Je comprends les consignes de sécurités draconiennes en vigueur pour ne pas dévoiler l'affaire...
L'annonce de l'arrivée prochaine à Rodby, au Danemark, vient à point nommé pour m'éviter tout humour déplacé avec mon Cerbère, humour à la française que personne d'ailleurs en dehors de
l'hexagone ne comprend et qui nous fait passer à l'étranger - au mieux - pour des gens difficiles à cerner...
Ces 45 minutes à bord du FS Deutschland ont été bien remplies ma foi et je n'ai pas vu le temps passer.
Qui a dit que l'on s'ennuyait sur un ferry, à 2h00 du matin ??
N.V.
"Du côté de la Baltique, en hiver..."